LYON – MONT BLANC – LYON, 6 et 7 Juin 2009

Compte-rendu par Martial PIETERS du club ARVICYCLO (Savoie)

Tout a commencé lors d’une réunion d’Arvicyclo … « Allez Martial, tu viens, tu verras c’est super …! ». « Ok, ok on verra… ! D’accord, mais si j’ai mes 3000 dans les jambes … ». Qui vient avec moi ? Sourires en coin dans la salle de réunion …

Et l’aventure commença en ce samedi 6 juin 2009, où je débarquais à 6 h. du matin à St Priest (et oui ce débarquement du 6 juin 2009 en pays Lyonnais restera gravé dans ma mémoire…).

Journal de bord de la 1ère journée.

La météo en ce petit matin frisquet, au départ de Pontcharra à 3h30, n’était guère encourageante. J’avais le choix entre la pluie, la pluie ou à défaut la pluie et le vent. Mais bon, j’ai signé c’est pour en c…, pardon mesdames, je voulais dire …baver… Alors, j’y vais !

Arrivé sur St Priest, première tuile, je ne trouve pas le départ, et tourne et retourne plus de 30 minutes à chercher seul ce maudit rendez-vous cyclo. Pestant, vociférant dans ma voiture, vers 6h45, je croise enfin des vélos, des plaques de cadre, c’est bon c’est là, je vais pouvoir rouler, me défouler. Seulement triste désolation sur la ligne, plus personne. Tout le monde est déjà parti. Dans la hâte, la précipitation, je décroche mon vélo, récupère ma plaque de cadre numérotée 50, et, partagé entre le sentiment d’abandon et la rage aux tripes, j’enfourche ma monture bleue à 6h58, solitaire, avec l’objectif de rattraper une équipée, un peloton.


Sous une pluie dense et glaciale, je couvre la première heure à près de 28 de moyenne, aidé par les bourrasques de vent. Enfin, je devine au loin deux malchanceux qui venaient de crever. Je fais donc équipe avec eux un temps, mais roulant de façon très irrégulière, je décide d’appuyer de plus belle sur les manivelles afin de trouver d’autres coéquipiers pédalant à mon rythme. C’est au premier ravitaillement que je rejoins mes salvateurs, les quatre mousquetaires niçois, qui veulent bien de moi.

Enfin du repos! Bien abrité, calé en quatrième position, je peux consulter mes premières statistiques sur mon GPS. Après 100 km, je suis surpris d’être toujours à 28 de moyenne. Trop content de n’être plus seul, voulant donner de mes nouvelles à mon coach Gilbert, je l’appelle par téléphone en direct de ma selle, pour lui faire partager mes émotions.  » Gigi, tu sais, c’est dur d’être sans ses compagnons de route habituels, l’année prochaine t’es avec moi, ok ?… ».
 Encouragé par ses paroles, je dévore kilomètres après kilomètres ce tracé sur le plat, pour me retrouver vers 13h sur les premières pentes hautes savoyardes.
Accompagné de mes compères, je participe tant bien que mal au partage des efforts, en me plaçant timidement de temps en temps en tête. Chemin faisant, nous discutons, partageons notre passion pour le vélo, et là je découvre que je suis entouré des Grands de la route. Des baroudeurs ayant accompli des Paris-Brest-Paris, des Paris-Nice à tout va, et le comble du comble, un Paris-Pékin … « Mes respects Alain ! ». Cela me rend rêveur et fier de rouler avec eux, après ma petite année de vélo.

180ème kilomètre, le profil change sérieusement! Ce n’est plus du faux plat « casse pattes », Thônes sonne l’heure des premiers pourcentages.
Trempé, grelotant de froid, je me demande ce que je fais là.
Une petite pensée pour mes filles, pour Jeanne, je ne peux les décevoir…
Me revoilà donc assis sur ma selle, cliquant mes chaussures dans les cales, devant le col de la Colombière. Cette montagne me fait peur, car je suis marqué, usé.
N’ai-je point été trop prétentieux ? Je récite ma devise, « si tu le dis, tu le fais ! ».
Alors tout comme Guynemer me l’a inculqué au cours de ma carrière, je vais « faire face ! ».
Respectueusement, je continue et reste derrière notre groupetto, au rythme de ces seigneurs de la route, qui m’apprennent à me gérer dans cette ascension.

Je prends conscience que ce sera dans ces lacets sinueux que je vais passer le cap des 200 km.
L’émotion, l’adrénaline m’envahissent, je n’ai jamais passé cette distance … Mes yeux laissent ruisseler quelques larmes. Heureusement mes joues déjà trempées par la pluie dense, ne révèlent pas cette charge émotionnelle, personne ne voit que je suis affecté…


La pente est là, me rappelant que je suis bien sur la Lyon-Mont Blanc, tenace et raide, elle me fait très mal aux mollets, aux cuisses.
Il faut continuer coûte que coûte, même si je ne sens plus mes pieds, gelés dans mes chaussettes mouillées du matin.
Le flop-flop de mes chaussures me rappelle ainsi le glougloutement du Gelon, que j’ai tant de fois côtoyé du bord de la longue ligne droite de la route du Val Gelon.
 Soudain, la météo, peu clémente jusqu’alors, en remet une couche, histoire de nous compliquer la tâche, alors que le col est en vue dans un crachin digne des îles Kerguélen.
Christian, plus vigoureux et déjà bien habitué à ces longues chevauchées, métronome de son effort, bascule en tête au col de la Colombière.
Pour Alain, Henry et moi ce n’est pas la même chanson, il faut tenir bon.
Didier (un grand monsieur du vélo aussi), véritable Saint Bernard dans sa voiture d’assistance, est là à 2 km sous le sommet. Arrivé à sa hauteur, il me tend un verre de coca. Sympa le Niçois ! Quel délice cette boisson. Il devine sur mon visage que je suis loin d’être au top et m’encourage de plus belle, comme si on se connaissait depuis tout le temps. Alors fourbu, je repose mon fessier douloureux sur le « stratos bleu », bien décidé à braver cette froideur infernale. Quelques instants plus tard, j’entends la voiture de « l’AVAN Niçois » qui revient à ma hauteur.
Malheureusement cette fois figure sur le toit, bien rangé, le vélo N°27. Je comprends qu’Henry a déposé les armes, ne supportant plus ces températures de l’ordre de 7°, et craignant la descente vers Cluses, … vers l’enfer sibérien devrais-je dire…

Il est à peu près 17h10 quand le col est vaincu, et quand je prends le temps de me délecter d’une divine boisson, nommée café. Là, je me dis que le plus dur est fait, les 200 bornes sont bien inscrites dans mon compteur (larmes de bonheur…), restent désormais 37 km.
Les plus terribles.
En effet, la route trempée, le froid tenace et pénétrant m’interdisent de filer dans la descente à plus de 35 km/h. Tant bien que mal, je me laisse descendre vers le Reposoir puis Cluses, où le regroupement se fait avec Alain et Christian au pied d’un feu rouge.


Reste à rejoindre la route d’accès vers les Carroz d’Arraches, puis l’ascension vers l’arrivée avec en prime un pourcentage de 9% moyen sur 13 km. Ce n’est pas grave, il est bientôt 17h30 et je sais qu’à 8,5 km/h je serai à bon port vers 18h40.
Tel un robot, inlassablement je fais tourner mes jambes, il n’est plus question de poser le pied à terre. Les 9 derniers kilomètres n’auront pas raison de moi. Surmotivé, galvanisé par un coup de fil de Jeanne je passe la ligne d’arrivée, au pied de notre hôtel à 18h30, sous les bravos de l’équipe organisatrice.
La photographe professionnelle est là, je le sais, j’entends le cliquetis de son appareil. Je suffoque puis me reprends car je veux rester présentable et digne, malgré mon état délabré.

C’est fait ! J’ai vaincu cette première journée, quelque peu fier et surtout très reconnaissant envers mes compagnons de route, Henry, Didier, Christian et Alain. Chapeau bas les gars … Je ne vous connaissais pas, mais cela valait le détour de rouler à vos cotés !
Une mention aussi pour Laurence (CTL) pour l’organisation, pour son équipe chaleureuse et bienveillante en tous lieux et tous temps.

Journal de bord de la 2ème journée.

5 heures …, la chambrée se réveille.

Musculairement endolori dans mon lit, je ressens encore les stigmates du froid, de la pluie incessante de la veille.
Mais pas le temps de se lamenter, que l’ambiance du dortoir est déjà envahie par une odeur de camphre.
Ces arômes âcres et forts me ramènent à la réalité sportive de la journée.
Les commentaires vont bon train sur le profil de cette deuxième journée, longue de 237 km, avec notamment l’ascension du Mont Salève. Ce « petit déjeuner Suisse » aux saveurs jurassiennes nous amènera à tangenter Genève et sa frontière.

Allez Martial secoue-toi ! Oublie la douceur de ton lit, car tu as encore ton vélo à réparer !
En effet, la chambre à air en latex de ma roue arrière a rendu son dernier souffle devant les commissaires, torturée par les kilomètres et dénivelés marqués de la première journée.
Petit-déjeuner avalé, sac déposé dans le fourgon de l’organisation, vélo remis en état, et me voilà dès 6h40 à dévaler les lacets vers Bonneville.

Déjà Christel, la photographe, est à pied d’oeuvre. Armée de son argentique, elle mitraille et le cliquetis de ses clichés laisse entrevoir, par alternance, un sourire des plus sympas, des plus motivants.
Passionnée, elle nourrit avec fraîcheur « Le songe de son miroir… » (son site).

Toujours en retard, à la recherche de mes compagnons de route de la veille, j’ai tout juste le temps d’apprécier la fraîcheur matinale et les premiers signes météorologiques.
Cette journée sera placée sous une tendance de traîne active, avec au menu, des « rayons de soleil suisse » (timides et très longs à venir), de la pluie, du vent et des températures matinales de l’ordre de 6° au sommet du Grand Piton (Mt Salève).

Il est 6h55 quand enfin je devine, de l’arrière, les mollets carrés d’Alain, bien emmitouflés dans des bas de laine noirs. La jonction est faite et cela me rassure d’autant, car la convivialité et l’esprit de cohésion sont toujours de mise chez les Niçois. C’est bien comme cela !
Je débute sur les longs raids et ils me font comprendre qu’il n’y a aura pas de salades … niçoises (lol !) entre nous. La passion du vélo, l’esprit du challenge personnel animeront dans la constance nos tours de roues sur ce bitume détrempé. L’allure est raisonnable (28,5 km/h de moyenne.) et le premier tronçon, nous menant au pied de la première difficulté, est bien digéré. Je ne souffre pas de l’effort fourni hier. Super !
Soudain, le craquement des dérailleurs encrassés de mes compères, cherchant le « tout à gauche », me fait comprendre que nous sommes déjà aux abords du massif des Bornes et Lémanique.
La côte est là, se dressant avec des passages entre 9 et 11%. Ne voulant pas laisser ma part au chien, je décide de travailler pour le groupe, et donne un tempo de 10 à 11km/h dans le début de cette ascension.
Didier, ayant échangé son rôle de St Bernard avec Henry, se voit rappelé au bon souvenir d’une lombalgie tenace. Je m’inquiète de son état de santé, mais coriace et habité par une volonté sans faille, il tient bon sur sa selle.
Levant la tête vers le col du lieu dit de la Croisette (pas celle de Cannes mais du Mt Salève), je comprends que nous allons être enveloppés au sommet par les nuages et une pluie glaciale, le tout animé par le dieu Eole, avec de bonnes giboulées cinglantes.

Surpris par mon état de fraîcheur, je passe en tête au sommet et décide d’attendre mes camarades.
Je profite de cette petite pause près de la voiture conduite par Henry, pour me restaurer. Je grelotte à nouveau, mes bras tremblent dans le froid et j’ai du mal à porter à ma bouche les quelques pâtes de fruits qui me seront des plus profitables. Regroupés sur le plateau à près de 1314 m, nous poursuivons vers la descente interminable nous menant vers Cruseilles. Fais gaffe Martial ! L’eau ruisselle à grand volume, la route est étroite, et les gravillons charriés par les torrents d’eau appellent à la prudence. Le freinage est incertain pour ne pas dire inopérant. Ne sentant plus mes doigts, observant mes mains blanchies et vieillies par l’eau froide, je regarde au loin, afin de me remonter le moral, en découvrant que notre tracé est éclairé par un soleil timoré. C’est toujours bon à prendre
La grisaille, l’humidité pénétrante, les températures basses sont vite oubliées, dès lors que nous filons vers Seyssel (km 108). Réchauffés par les premiers rayons de soleil de la matinée, nous composons avec un vent de face, bien alignés en file indienne, pour nous économiser.
Que c’est bon de ressentir à nouveau ses jambes, d’apprécier la douceur des fonds de vallées.
La température redevient acceptable, dès lors que nous sommes aux abords des méandres du Rhône.

12h30, en cadence nous filons en direction du lac de Chambéry. Dans ces contrées, je me sens un peu chez moi dès lors que nous approchons du Lac de Lamartine, du village de Ruffieux, de Chanaz. Plus que 111 km, et mon pari sera tenu. J’ai du mal à y croire, tant je suis bien sur mon vélo. Le groupe, serein, enchaîne ces parties plates du tracé, avec un rythme assez déconcertant, si l’on tient compte des efforts cumulés.

Je repense aux miens, à Arvicyclo, mon club … S’ils savaient combien il est jouissif d’entrevoir la réussite d’un tel marathon du vélo. Allez, il ne faut pas que je cède à la mélancolie, à l’émotion grandissante.

Je me détourne donc vers mon GPS, vers mon road-book, pour apprécier avec justesse que c’est loin d’être gagné.
En effet, des 5078 m de dénivelé cumulé sur les deux journées, il manque encore un bon 1000 m.
A la lecture de la carte, je comprends que les petits reliefs à venir, que le col de Prémeyzel, marqueront encore mon organisme.
Ne voulant penser aux cinq à six heures de selle restantes, je prends donc le temps de me délecter des paysages délicieux du département de l’Ain.

Le dernier tiers du parcours n’est qu’un enchaînement de bosses, que nous parcourons avec sagesse, pour ne pas accentuer les souffrances du fessier, des jambes, du dos.
Vers 15h30, je devine enfin la campagne des Avenières, l’avant pays lyonnais. Je comprends qu’il ne me reste plus grand-chose pour savourer cette réussite personnelle, aussi modeste soit elle.

Il est 18h14, lorsque de front, la main dans la main, nous franchissons la ligne d’arrivée. Les derniers mètres sont riches d’émotion.

Je remercie chaleureusement tout ce groupe que je ne connaissais pas et qui a grandement contribué à la réussite de mon entreprise.
Je prends sur moi, pour ne pas laisser échapper des larmes de joie, qui ne cesseront durant 10 minutes, d’inonder mon regard.

Pour terminer, à la lecture de ce récit, les yeux encore trempés, je te dis à toi, Didier, Alain, Christian et Henry, MERCI, ce fut chouette !

Juste quelques chiffres :

  • Distance de la Lyon-Mt Blanc-Lyon : 470 km
  • Dénivelé : 5078 m
  • Vitesse moyenne sur les deux jours : 22 km/h
  • Temps de selle : 22 h.45
  • Martial PIETERS